samedi 26 janvier 2013

Affaire Florence Cassez : de la prison au tribunal médiatique



Rien ne justifie l’hyper médiatisation de la libération Florence Cassez. Surtout que ce vacarme n’apporte aucune réponse à sa culpabilité. Mais tout ce bruit permet de ne pas réfléchir à l’essentiel.


Difficile d’y échapper. Difficile de ne pas entendre un bruit ou de ne pas voir une image. Image prétexte qui permet de bien oublier nos préoccupations quotidiennes, le chômage endémique et le racket fiscal organisé. A grand renfort de plateaux, d’interviews toutes plus révélatrices promettant à chaque fois un bon scoop et n’accouchant en fait de rien, - à part l’ennui -, nos médias ont largement ratissé l’événement jusqu’à l’épuisement. Florence Cassez a été libérée. Pour autant est-elle innocente ? La réponse est sans ambigüité affirmative dans nos médias sans trop d’ailleurs sur quoi ils se fondent.

Rien donc, sur cette interrogation. Rien sur la justice mexicaine (trop loin, trop compliquée, et puis le Mexique, hein, des barbares, n’est-ce pas ?, des mangeurs de tacos et des trafiquants de drogue : les stéréotypes ont bon dos…). Rien sur l’étonnante forme de Florence Cassez après toutes ces années de prisons. Le même hâle qu’Ingrid Betencourt. A croire que l’air de la jungle colombienne ou de Mexico City sont bon pour le teint. C’est vrai que nos commentateurs toujours aussi avisés n’ont pas sombré ni dans la finesse ni dans l’esprit critique. 

La société du spectacle

La société du spectacle est passée par là. Bien loin des quotidiens mexicains, même à l’exact opposé, les médias français se sont vautrés dans une gabegie d’images et de pseudo-révélations. De l’autre côté de l’Atlantique, les journaux mexicains sont beaucoup plus prudents. Au moins, ils présentent un avantage : ils posent des questions. En France : rien. Il est vrai que nous aimons les perdants, les condamnés, les loosers… Bientôt Armstrong deviendra sympathique. Frachon est une sainte. Betancourt une icône tout comme Ségolène Royal. Cassez transformée en Jeanne d’Arc en oubliant que sa fin est moins glorieuse. Les condamnés deviennent sympathiques dans notre société de l’illusion. On en fait des émissions, des contre investigations. Les mêmes condamnés écrivent leurs mémoires et passent au deuxième tour sur les plateaux de télévisions pour leur promotion. Le buché des vanités n’est pas loin.

Nous aimons les jolies histoires. Ce que les communicants appellent le storytelling. Florence Cassez deviendra dans les prochains jours, une véritable victime sans que personne dans les rédactions, ni dans la rue, n’en sache rien, ni n’en comprenne rien. Nous oublierons vite qu’elle est complice d’enlèvement. Qu’elle est libérée pour vice de procédure. Mais parce que les médias en feront des tonnes sur cette libération, alors, oui, vraiment, Florence Cassez était innocente. Tribunal médiatique, tribunal populaire, voire populiste. L’ignorance crasse entendue et reprise par les rédactions de la rive gauche. 

Récupération politique
Et puis, comme si cela ne suffisait pas, il faut bien que la politique s’en mêle. Opération récupération. Hollande, Fabius, statufié lors de la déclaration de Cassez, Roméro, telle une girouette rose pâle… Et puis pour ajouter un peu de pathos, la « bibiche » à François. Citons Le Figaro : « elle s’est rendue au domicile parisien de Charlotte Cassez pour suivre le délibéré de la Cour. “Elle a toujours été très présente quand on avait besoin d’elle”, témoigne Jean-Luc Roméro, président du comité de soutien. Pendant son incarcération, la première dame a envoyé des colis à la Française contenant des chocolats, des livres et de la gouache pour peindre. » Une petite larme ? Il se dit qu’après une nuit au Crillon, (quand même), elle aurait rencontré Sarkozy en toute discrétion. Tout e monde veut sa part du gâteau de la reconnaissance. Dans le brouhaha médiatique, seule Europe 1 prend ses distances par la voix de Natacha Polony. Mais la dépouille de Yann Desjeux, le français assassiné en Algérie par des terroristes, est arrivée en toute discrétion en France, sans aucun média pour en parler…

Par chance la presse mexicaine nous rappelle quelques vérités. La « libération » de Florence Cassez tombe à point nommé. El Universal souligne que les Français ne pensent plus au Mali, au chômage explosif et aux milliers de salariés de chez Renault mis au tapis. Mais la majorité des rédactions s’insurgent contre cette libération qui oublie juste les victimes… D’ailleurs, les journalistes mexicains ont du lire avec le sourire aux lèvres, le récent sondage d’IPSOS pour Le Monde : les Français jugent, pour 74 % d’entre eux, que les journalistes sont « coupés des réalités et ne parlent pas des vrais problèmes des Français ». Ils ne parlent pas des 2216 français qui sont détenus dans des prisons, ni des trois condamnés à mort, ni des otages retenus en Afrique et dont l’espérance de vie semble se réduire de jour en jour...

Il se pose alors un problème majeur. Quel doit être le travail des rédactions, des journalistes ? C’est vrai que c’est souvent compliqué de gérer l’urgence et l’investigation, le politiquement correct et l’envie de faire éclater quelques vérités. Et malgré les chartes de bonne conduite, malgré les déclarations la main sur le cœur, les journalistes ou les petits soldats du journalisme (j’adore ce titre de Guillaume Ruffin), se vautrent assez souvent dans le suivisme et la consanguinité journalistique. Toutes nos grandes affaires n’échappent pas à cette règle : les rédactions ont un parti pris et n’en démordent pas, quitte à se faire condamner pour violation de la présomption d’innocence, l’insulte. Comme si le journalisme, pour exister, devait avoir les pieds dans le prétoire.


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