mardi 11 décembre 2012

Lobbying dans tous les vestibules



Crise économique, nouvelle gouvernance, budget 2013, scandales à répétition, les actions de lobbying se multiplient. Autrefois discrètes, les manœuvres sont de plus en plus voyantes et font débat.

Récession, poids des normes et des règlements, un gouvernement qui cherche à combler des comptes publics proches du zéro, des entreprises qui défendent leurs profits et leur image et qui voient plus loin que la prochaine échéance électorale… L'heure est plus que jamais à l’influence afin de préserver les intérêts particuliers ou corporatistes. Tous les jours, la communication d’influence se développe tant dans les médias que sur Internet. Elle concerne Sanofi, Arcelor Mittal, Nutella, Free, McDonald's... Elle implique la confédération des brasseurs, les entreprises du médicament, les groupes de pression proche des mouvements écologistes, les pro et les anti OGM, les pro et anti gaz de schiste, les buralistes, les médecins, les pharmaciens... Aucun secteur de l’activité économique n’y échappe. Face à ces multiples défenses d’intérêt, des parlementaires cherchent à se faire un nom en voulant acquérir une notoriété afin de peser sur l’exécutif. Ce sont les nouveaux acteurs de la démocratie d’opinion, une forme d’action politique qui écouterait au plus près les attentes des Français et qui flirte avec la démagogie. Les blocages sociétaux, pourtant depuis longtemps identifiés en France, sont tels que les chemins traditionnels de la prise de décision politique sont de plus en plus souvent détournés.
Comment répondre ? Faut-il utiliser les codes et les supports de la communication grand public et prendre à partie l'opinion ? Si les avis divergent, ils sont unanimes à condamner McDonald's et son attaque de la hausse de la TVA sur la restauration. Surfant sur la mode du «fact-cheking», l'entreprise s'est offert le 30 octobre dernier une pleine plage de publicité au ton ironique pour interpeller le député socialiste Thomas Thévenoud, présenté comme incompétent. Un faux pas très mal perçu des politiques qui n'a pas tourné à l'avantage de l'entreprise. Plus récemment, Sephora s’offre une grande page de publicité dans le Figaro pour défendre son droit d’employer jusqu’à minuit des travailleurs dans son magasin des Champs Élysées. La justice a donné raison à l’entreprise.
Selon Bruno Racouchot, dirigeant de Comès, agence de communication d’influence, il convient de respecter les parlementaires, d'éviter de stigmatiser tel ou tel élu. Le lobbying est, rappelons-le, une action visant à peser sur l’exécutif afin de modifier les normes et les lois à l’avantage d’une entreprise ou d’une organisation. Si, aux Etats-Unis ou au Canada, cette forme d’influence est totalement comprise, acceptée,légitime et encadrée, en France, la situation est bien plus paradoxale. Un consensus fondé sur l’histoire des relations parlementaires existe pour condamner les actions de lobbying mais, en fait, tous les élus s’en accommodent, de l’échelon communal au sommet de l’état. Dans une dernière enquête sur la puissance des francs-maçons qui est une autre forme de lobbying, Le Figaro soulignait l’influence réelle des frères au Palais Bourbon. D’ailleurs il y a comme un passage obligé des différents ministres (toute tendance confondues) venant exposés leurs projets ou leurs thèses et comme attendant d’être adoubés. Hier c’était Xavier Bertrand, Aquilino Morelle, aujourd’hui, Vincent Peillon... Le lobbying est un travail de longue haleine qui réclame de la patience,effectué très en amont des décisions et fondé sur le dialogue, l'information. Si une société prend en catastrophe une page de publicité, c'est que ce travail n'a pas été fait au préalable et qu’il n’y a pas eu de discussion en amont.
Autre exemple. Attaquée, Nutella a également misé sur la publicité pour défendre ses produits. L'huile de palme dont est composée cette pâte à tartiner culte a fait l'objet d'une proposition visant à tripler le montant de sa taxe dans l'examen du budget 2013 de la Sécurité sociale. La marque du groupe Ferrero sait, depuis longtemps, que le Nutella est jugée nocif pour la santé et l'environnement, notamment par les associations de consommateurs. Elle ne s'attendait cependant ni à cette taxe, rejetée depuis, ni à ce que la proposition prenne le nom très accrocheur «d'amendement Nutella».Si Ferrero n’a répondu aux médias que très partiellement, c’est parce que l’entreprise estime que c’est à tout le secteur de l’alimentation de réagir en s’appuyant sur les témoignages de consommateurs, les meilleurs défenseurs du produit. Pour autant Ferrero n’a pas retiré sa campagne de publicité…


Les politiques digèrent mal la pression ?

D'autres vont plus loin que la page de publicité. L’Association des brasseurs de France a lancé une panoplie d'actions pour empêcher le relèvement de la taxe sur la bière : mobilisations des artistes et grands chefs de cuisine signataires d'une pétition, publiée dans Le Monde sous forme de tribune ; publication d'un sondage Ifop expliquant que plus de 85% des Français jugent inefficace pour la santé publique la hausse de la taxation sur la bière ; envoi aux journalistes et aux parlementaires de packs de bouteilles étiquetées «la dernière gorgée de bière» ; appel au soutien de l'Amicale des députés brassicoles… Peine perdue. Les députés ont tranché, la bière sera taxée plus fortement.
Ce type de communication est cependant contre-productif. Comment comprendre qu’une association dépense des sommes considérables pour s’opposer à une taxe et démontre ainsi qu’elle est très riche ? Le politique n'apprécie pas la pression des médias et de l'opinion même si, par ailleurs, il aime fréquenter les cercles de réflexions financé par des entreprises finançant largement colloques et séminaires. Chacun se souvient par exemple des séminaires organisés par Daniel Vial à Lourmarin regroupant le gratin de l’industrie pharmaceutique, ministres de la santé en tête... Le politique n'aime pas faire l'objet d'un lobbying trop puissant et trop voyant même si derrière les fondations ointes de bonnes intentions, se dissimulent des think tank et des lobbys puissants (voir la cartographie du Monde). Les risques d'une opération de communication sont d'autant plus nombreux qu'elle se situe en début de législature et de quinquennat. Idéalement une entreprise se doit de construire une relation ancrée dans la durée avec les décideurs publics. Miser sur le dialogue et la négociation apparaît plus pertinent que des campagnes grand public cristallisant des oppositions.
Les parlementaires de gauche seraient-ils, par ailleurs, particulièrement allergiques aux pressions extérieures? Les mesures envisagées par le député PS Christophe Sirugue, président de la délégation chargée des représentants d'intérêt et des groupes d'étude à l'Assemblée, vont dans ce sens. Pour éviter la défense d'intérêts purement particuliers, il envisage de retirer le badge d'accréditation permanente aux lobbyistes des sociétés Monsanto, Bayer ou Syngenta. Raison invoquée : elles sont parties prenantes d'un sujet sensible, les OGM, sur lesquels les députés pourraient débattre prochainement… Nul doute qu’il faudra bientôt retrié les accréditations de tous les groupes de pressions qui font l’actualité au sens large : Medef, sidérurgie, industries du médicament représentées par le LEEM, industries de la défense, Air Liquide, Air France… (liste ici)
L'affaire des Pigeons, elle aussi, a laissé des traces. Le gouvernement a cédé sous la pression de l'opinion publique avant même que le débat ne gagne l'Assemblée nationale. Un court-circuit du temps parlementaire qui n'a pas ravi les députés. Les politiques vont pourtant devoir s'habituer à cette forme nouvelle de «liketivisme». Ce débat en ligne très puissant est un tournant historique et le premier d'une longue série. Le gouvernement a pris la dimension que, demain, le dialogue avec la société civile ne se fera plus uniquement par la rue ou via des structures organisées. De nouvelles communautés émergent sur le Net et se mobilisent. Les syndicats et organisations professionnelles devraient elles aussi en tenir compte, tout comme les agences qui doivent se doter d'outils de veille performants.

Guérillas digitales
Les professionnels qui n'ont pas fini de décrypter ce cas d'école expliquent cependant qu'il n'aurait pu être aussi puissant sans relais médiatique.Les médias sont aujourd'hui plus que jamais à l'écoute du Web et l’effet Twitter est indéniable. Mais tant que la contestation reste cantonnée au digital, elle n'est pas véritablement dangereuse. La chambre d'écho reste encore aujourd'hui les médias traditionnels. Le plus difficile pour ces guérillas digitales est de justement de trouver des relais dans les grands médias ou auprès d’élus.
La mobilisation des Pigeons consacre quoiqu'il en soit l'avènement de l'opinion, essentielle à toute action de communication d'influence. La mécanique de prise de décision publique se fonde aujourd'hui sur la perception du grand public. Elle s'appuie sur les sondages d'opinion. Plus aucune action de lobbying ne peut être menée sans en tenir compte. Mais ce type d’action vient en complément d’action du lobbying classique dans les bureaux des ministères et opérations de sensibilisation du grand public. Les deux démarches s’inscrivent dans une stratégie globale d’influence.


D'autres vont plus loin que la page de publicité. L'Association des brasseurs de France a lancé une panoplie d'actions pour empêcher le relèvement de la taxe sur la bière : mobilisations des artistes et grands chefs de cuisine signataires d'une pétition, publiée dans Le Monde sous forme de tribune ; publication d'un sondage Ifop expliquant que plus de 85% des Français jugent inefficace pour la santé publique la hausse de la taxation sur la bière ; envoi aux journalistes et aux parlementaires de packs de bouteilles étiquetées «la dernière gorgée de bière» ; appel au soutien de l'Amicale des députés brassicoles… Peine perdue. Les