vendredi 29 juin 2012

PIP, Mediator H1N1 : le principe de précaution ou l’ignorance des clercs


Prothèses PIP, Mediator, H1N1 : sous le prétexte du principe de précaution, les politiques se réfugient derrière un concept dévoyé. Xavier Bertrand, à l’occasion de son dernier poste de Ministre de la Santé, incarne à lui-seul une attitude réflexe : éviter les responsabilités.


Dans sa définition première, le principe de précaution est un principe de gestion environnementale et non un principe de gestion de crise. Il apparaît en Allemagne à la fin des années 1960. Ce principe va prospérer sur le plan international en devenant une figure imposée de tous les traités internationaux en matière d'environnement - le premier acte important étant le Sommet de la Terre de Rio en 1992. En France, la première législation qui inscrit le principe de précaution, la loi Barnier de 1995, ne suscite à l'époque aucun débat. En revanche, l'inscription de ce principe dans la Constitution, au niveau des valeurs fondatrices de la République, avec la Charte de l'environnement de 2005, fait prendre une longueur d'avance à la France.
C’est surtout à l’occasion des crises sanitaires que le principe de précaution se fait connaître en France. Le principe a d'abord été entendu comme principe de responsabilité de l'Etat, notamment à l'occasion de l'affaire du sang contaminé. Ce principe a été réfléchi en fonction des responsabilités qu'il pourrait engager. Il est devenu à la fois un épouvantail et un principe de couverture. En faire trop semble protéger d'une mise en cause éventuelle. De plus, le principe de précaution est toujours lié à la défense d'un système de valeurs précis. Si on considère que la santé n'est pas une valeur qui doit être hautement protégée, alors il n'y a pas de précaution particulière à prendre en matière sanitaire. Les choix faits par Roselyne Bachelot dans le cas du risque H1N1 supposent que la société veut se protéger au maximum, que le décès d'une seule personne devrait pouvoir être évité.
Le principe de précaution est en soi excessif : il commande de donner le plus grand poids au plus petit risque. Il oblige à exagérer la menace. Difficile de faire le reproche à Me Bachelot d'avoir engagé une démarche de précaution, notamment au début de la crise : les informations en provenance de l'Organisation mondiale de la santé étaient très alarmistes. Vient ensuite, logiquement, la phase de la déception. Le temps passe. On découvre que les choses ne sont pas comme on les avait imaginées. Il faut alors s'adapter. C'est ce que tente de faire, sous des critiques qui ne sont pas toujours honnêtes, Me Bachelot.
Dans une conjoncture de précaution, les politiques ne gèrent pas seulement le risque objectif, difficile à établir scientifiquement en raison du manque de connaissances, mais aussi le risque subjectif, créé par l'imaginaire collectif autour de la menace. La dimension de la communication, la gestion des craintes absorbent la gestion du risque "réel".
Si on observe le cas de Xavier Bertrand en tant que Ministre de la santé, il incarne à lui-seul, la crainte engendrée par le risque sanitaire. Tant pour le Mediator que pour les prothèses PIP. Le principe n’est pas tant de protéger la population que de se protéger soi-même et éventuellement dissimuler une faillite du système de pharmacovigilance (Mediator) ou une faillite du système de protection sociale (PIP).

 

En prenant des décisions à la hussarde, Xavier Bertrand symbolise l’ignorance du politique et la panique face à une question de société. Commander un rapport sur le Mediator à Aquilino Morelle qui le rédige en quelques semaines alors qu’il faudrait au moins six mois en temps normal, imposer le retrait de toutes les prothèses PIP alors que c’est une opération loin d’être anonyme, autant d’actions qui traduisent la panique du politique et la redoutable méconnaissance. Le patron de PIP, Jean-Claude Mas, s'en est pris à juste titre à Xavier Bertrand, le ministre de la Santé. «Le ministre nous met 500.000 patientes sur le dos avec ses déclarations intempestives alors qu'il n'a pas la compétence. Pourtant il a des gens autour de lui pour le conseiller», s'est emporté Jean-Claude Mas. Ce serait même le ministre de la santé qui ferait courir un risque aux patientes en décidant le retrait de leurs prothèses PIP. «Pourquoi aller payer à des patientes des explantations alors que le risque chirurgical, lui, est réel», interroge ainsi Jean-Claude Mas.


Xavier Bertrand, dans la précipitation, recommande donc "à titre préventif et sans caractère d’urgence", que le retrait des prothèses mammaires PIP soit proposé aux femmes les portant, même s'il n'a pas été démontré à ce jour un risque accru de cancer… Quelque 30.000 femmes en France se sont fait implanter des prothèses mammaires de marque PIP, dont certaines sont remplies d'un gel de silicone non médical, qui entraînerait des risques accrus de fuite et de rupture de l'enveloppe de la prothèse. Les frais liés à cette explantation, incluant l’hospitalisation, seront pris en charge par l’assurance maladie. S’agissant de femmes relevant d’une chirurgie reconstructrice (après cancer du sein), la pose d’une nouvelle prothèse est également remboursée. Lorsqu'il s'agit d'une opération à visée esthétique - la grande majorité des cas - la pose de nouvelles prothèses est à la charge de la patiente. Le coût maximal pour la sécurité sociale des opérations de retrait des prothèses mammaires PIP est estimé à une soixantaine de millions d'euros, indiquait le 23 décembre 2011 François Godineau, chef de service de la Direction de la sécurité sociale.
Outre le cout des explantations, on peut se demander si les politiques, Xavier Bertrand en premier, n’agissent pas les yeux et les oreilles fermés. Il faut relire l’avis de L'avis de l’Institut national du cancer "il n'y a pas à ce jour de risque accru de cancer chez les femmes porteuses de prothèses de marque PIP en comparaison aux autres prothèses". Un total de 8 cas de cancers a été signalé chez des femmes ayant eu des prothèses PIP, sans toutefois qu'aucun lien de causalité n'ait été établi. "Devant l'absence d'éléments nouveaux concernant le gel non conforme ou de données cliniques nouvelles sur des complications spécifiques, les experts considèrent ne pas disposer de preuves suffisantes pour proposer le retrait systématique de ces implants à titre préventif", a estimé l'expertise collective coordonnée par l'INCa.
Et comme une nouvelle preuve dénonçant la panique, voire l’incurie du politique, le service de santé publique britannique diffuse une étude dans laquelle il est démontré qu’environ 15 à 30 % des prothèses PIP risquent de se déchirer après dix ans d'utilisation, alors que ceux des autres marques présentent un taux de rupture de 10 % à 14 % sur la même période. Mais leurs composants ne sont ni toxiques ni cancérigènes, assurent ces experts. "Les multiples tests réalisés (...) ont montré que ces implants ne sont pas toxiques et ne présentent pas de risques à long terme pour la santé des femmes", explique le Pr Bruce Keogh, qui a dirigé cette étude. Ces implants sont toutefois "d'une qualité inférieure à celle des autres implants" et sont "plus susceptibles de se rompre".
Si le ministre de la santé avait consulté des experts ou des chirurgiens, il aurait pu entendre ou lire ceci : « J'ai encore dans ma patientèle des porteuses heureuses de prothèses PIP préremplies de sérum et encore satisfaisantes après 14 ans; ces patientes sont inquiètes, injustement, car elles ne risquent rien ! Mais l'amalgame médiatique est imparablement terrorisant ! Notre syndicat a porté plainte ; certains de mes collègues aussi directement. Pour ma part, je considère que l'important est d'accompagner mes patientes -surveiller celles dont les prothèses PIP vont encore très bien- proposer un échange au coût le plus ajusté en tenant compte de leur situation financière personnelle, mais en leur demandant de contribuer à la somme nécessaire pour acheter de nouvelles prothèses et assurer les frais d'aide opératoire et d'anesthésie négociés et minorés par nous ? » (http://www.vladimir-mitz.com/component/content/article/141-chirurgie-esthetique-protheses-mammaires-pip-danger.html).
Avec le principe de précaution, le politique devrait s’interroger sur cette ascèse chère aux philosophes du XVIIIe selon laquelle un jugement juste devrait être dépassionné. Le principe de précaution, loin de renforcer l'autorité de l’État, l'affaiblit et finalement prive la décision publique de sa légitimité. Enfin, en raison de l'exagération des émotions qui le constitue, il tend à placer la société dans une situation de crise et d'urgence permanente…

jeudi 21 juin 2012

Le marketing du médicament : un enjeu colossal


Confrontée à des crises à répétitions (PIP, Mediator), l’industrie pharmaceutique est contrainte de revoir ses méthodes marketing et sa manière de communiquer. 

 
Le LEEM vient de lancer une campagne d’information et de sensibilisation (également présente sur Facebook), histoire de faire un peu oublier les différents scandales à répétition dont l’affaire du Mediator n’est que le dernier avatar. Comme le souligne Christian Lajoux, président du LEEM (les entreprises du médicament) et par ailleurs président de Sanofi-Aventis France : « L’affaire du Mediator est une véritable déflagration dans le secteur. Elle remet en question la crédibilité de l’ensemble de la chaîne du système de santé : les laboratoires, mais aussi les organismes d’évaluation, les experts et les professionnels de la santé ».  C’est donc bien toute la chaine de production, analyse, évaluation, prescription, vente du médicament qui serait responsable du désastre.
Les laboratoires sont en première ligne sur ce dossier et la défiance à leur encontre est grandissante. Nous avions déjà évoqué précédemment, la manne financière de l’industrie pharmaceutique malgré les affaires à répétition qui n’ont fait qu’augmenter la défiance : Vioxx, gestion de la grippe H1N1, Avandia, hormone de croissance, sans que les autorités ne bougent véritablement… Sans oublier l’intense lobbying, ou plus pudiquement relations institutionnelles ou publiques, dont les industries du médicament font preuve. On estime entre 200.000 à 800.000€ chaque année les dépenses consacrées aux actions de pressions sur les normes institutionnelles selon une enquête de la Tribune du 4 février dernier. Il apparaît ainsi évident que la maîtrise des rouages décisionnels est d’une importance capitale dans ce secteur.
Pourtant les acteurs de ce marché hyper rentable ont du mal à faire leur propre auto-analyse. Il est vrai que les laboratoires se sont bien davantage intéressés à leurs actionnaires qu’à leurs patients.
En France, le patient ne choisit pas son médicament (c’est le médecin qui prescrit) et ne le paye pas ou seulement en partie (Sécurité sociale et mutuelle réunies). Comment expliquer dès lors faire des bénéfices pour un laboratoire, alors que la question ne se pose pas pour un médecin ou un pharmacien. Quand on sait que lorsqu’un princeps (médicament original) est concurrencé par sa version générique, le chiffre d’affaires du médicament baisse de 75%. Les laboratoires ont donc tout intérêt à développer en permanence de nouvelles molécules et mettre sur le marché de nouveaux médicaments en « marque déposée ».
Les laboratoires pâtissent de plus d’une image corporate détestable. Aucune communication n’a jamais été réellement réalisée à destination du grand public mais bien plutôt vers les milieux financiers leur garantissant une santé et une stabilité prospère. Les fusions en chaine se sont multipliés (Sanofi-Aventis et le rachat de Genzyme par exemple) au détriment des parties prenantes, des salariés et des patients. Lily France et l’un de ses cadres ont plagié une publicité d’Orangina interdite en France. « Tu vas prescrire ! tu vas prescrire ! » dit une femme panthère à un médecin apeuré. Limites de l’exercice, car il faut vendre à tout prix et ne pas laisser des parts de marché à des concurrents de plus en plus agressifs.
Les laboratoires n’ont pas vraiment la culture de la communication grand public. A part la semaine du médicament et la dernière campagne du LEEM déjà citée, rien ou si peu. Les laboratoires ont surtout une culture commerciale avec leur armée de visiteurs médicaux qui ont en face d’eux des médecins ou des pharmaciens ou des responsables de service bien plus diplômés et bien mieux payés qu’eux. Les budgets consacrés à la visite médicale en témoignent : chacun des 20000 visiteurs médicaux coute en moyenne 110.000€ par an. Avec un retour sur investissement beaucoup plus facile à quantifier qu’une campagne grand public. Le marketing de masse est donc privilégié et a contribué à développer une mauvaise image des laboratoires. Alors que le patient entretient un lien personnalisé, voire affectif avec son médecin…
La défiance constante des patients vis-à-vis des médicaments inquiète nécessairement le milieu des laboratoires. Le 1er février dernier, l’AFSSAPS ont diffusé une liste de 77 médicaments sous surveillance renforcée, accentuant ainsi le malaise. Communiquer sur des produits étant interdit en France, les laboratoires sont donc obligés de développer des campagnes d’information sur certaines pathologies (Sanofi et le diabète) ou l’exposition à la Villette sur les vaccins (Epidemik).
Enfin, le développement de l’éducation thérapeutique du patient, permettant de gérer au mieux sa propre maladie, est aussi une occasion pour les laboratoires d’investir un nouveau champ de communication, comme le site internet Diabète et ados du laboratoire Roche. Les labos se doivent ainsi d’investir le web, la santé étant le premier sujet recherché sur le Net, comme en témoigne le succès du site Doctissimo au grand malheur parfois des médecins qui y voient un concurrent « gratuit ». Ici comme ailleurs, les laboratoires ne peuvent communiquer sur leurs produits. Ils essaient néanmoins de développer des échanges avec les patients via des blogs comme Polyarthrite 2.0 (Roche et Chugai) et Ma santé en main (GSK) ou via les communautés de patients comme le réseau social Carenity.com. Tous les vecteurs de communication sont donc progressivement investis afin de toucher directement le patient.
« L’industrie pharmaceutique est trop longtemps restée au stade de la réclame. Elle doit désormais privilégier le contenu et se présenter en expert de la médico-économie » souligne Christian Lajoux, le patron du LEEM et de Sanofi-Aventis…

Sources :