mercredi 8 février 2012

Affaire Mediator de Servier : A qui profitent les fuites de l’instruction ?

Le 6 février 2012, le Figaro publiait un article signé d’Anne Jouan et intitulé « Le Mediator, chez Servier, on l'appelait le «Merdiator». Dans la logique de discrédit mise en œuvre par le quotidien national, qui nous avait habitué à un peu plus de distanciation et de réserve dans de biens meilleurs article sur la santé, ma consœur a « consulté le procès verbal de (son) l’audition » d’une ancienne visiteuse médicale des Laboratoires Servier.

Ce qui nous intéresse ici, c’est de savoir comment un quotidien peut enfreindre les règles de procédures dans le cadre d’une instruction en cours ? S'il s'agit bien d'un PV d'audition de gendarmes de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP), il s'agit de secret de l'enquête (l'instruction éventuelle venant ensuite). Or le code de procédure pénale précise :

"Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète.
Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal.
Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause."
Première hypothèse : si les éléments transmis sont "objectifs" (chacun pourra mesurer cette objectivité dans cet article à charge), nous pourrions imaginer que c’est le procureur lui-même qui, dans les conditions définies ci-dessus, aurait pu fournir ces éléments à la presse.
Seconde hypothèse : si ce n'est pas le procureur, il suffit de répondre à la question "A qui profitent ces fuites ?" pour savoir qui en est à l'origine.
Nous pourrions donc imaginer :
-                     Les parties civiles, sans doute représentées par leurs avocats, qui souhaitent augmenter la pression sur la procédure d’instruction afin d’obtenir des réponses et des dédommagements. C’est la logique de l’hyper médiatisation qui consiste à faire beaucoup de bruit autour d’un événement mineur afin d’augmenter la perception que cet événement est important.
-                     Les politiques et, en particulier, tous les ministres de la santé depuis 35 ans qui ont accordé les Autorisations de mise sur le marché du Mediator et qui ont couvert « la défaite de la santé publique » selon l’expression de Mediapart. A ce titre, chacun pourra chercher en vain dans le rapport de l’IGAS sur le Mediator, l’annexe reproduisant le renouvellement d’AMM signée par Xavier Bertrand en 2006…
-                     Des concurrents qui ont tout intérêt à charger les Laboratoires Servier pour détourner l’attention (lire à cet effet l’enquête de Libération du 8 février 2012) sur les scandales à répétition de l’industrie pharmaceutique et qui, sans aucun doute, s’appuient sur des agences de communication et de lobbying ;
-                     Le lobbying de la santé justement, incarné dans ces universités pharmaceutiques de Lourmarin organisées par Daniel Vial et auxquels participaient des anciens ministres comme Bernard Kouchner, Michèle Barzac ou Claude Evin. Une seule certitude : les laboratoires Servier n’y ont jamais participé.
-                     Le monde médical qui se fait extrêmement discret dans l’affaire du Mediator. Nous avons cherché en vain des témoignages de médecins prescripteurs du Mediator. Rien ou si peu comme si les malades allaient directement dans les laboratoires retirer leurs médicaments. C’est vrai qu’il est plus facile de charger les visiteurs médicaux de chez Servier, de dénoncer approximativement la longueur des jupes ou les effets indésirables du Mediator, que de s’interroger sur son rôle de chainon manquant…
-                     Les acteurs de l’affaire du Mediator, Irène Frachon, Gérard Bapt qui ont également tout intérêt à charger Servier pour ne pas reconnaître ultérieurement des approximations dans les résultats de l’étude épidémiologique conduite par Catherine Hill, par ailleurs tante de Maître Oudin. A ce titre, chacun pourrait imaginer que des relations quotidiennes peuvent s’entretenir entre le docteur Frachon, l’avocat des victimes Oudin et la journaliste Anne Jouan.
Cela fait donc bien des pistes à explorer et chacun pourra y réfléchir. Néanmoins on s’attendrait à plus de mesure et d’objectivité (si tant est qu’elle existe) de la part d’un grand quotidien national. Une dernière précision juridique : dans ce cas précis, les journalistes pourraient être poursuivis pour recel du secret de l’instruction si les Laboratoires Servier le voulaient.
Sources :



 


samedi 4 février 2012

De l’usage de la polémique en général et des médias sociaux en particulier : le cas du Mediator de Servier

Sujet ultra sensible à en voir le buzz qui tourne sur internet depuis des mois, l’affaire du Médiator déchaine légitimement les passions. Ce qui est moins agréable, c’est lire les multiples invectives, les injures, la haine, le dénigrement, tout cela sans réel fondement.
Nous en avons fait l’expérience après notre précédent papier « Vers un Outreau de la santé et du médicament dans l’affaire du Mediator ». A chaque invective reçue, il nous a suffit de demander des preuves, des faits concrets pour que toute discussion objective et raisonnée s’interrompe. Même notre brave médecin de campagne n’a pas donné suite, confronté à ses propres contradictions. Même le « community manager » d’un laboratoire concurrent de Servier ne répond plus aux demandes répétées de preuves et d’argumentation. L’art de la polémique passe par là.

Chacun est convaincu que ses jugements sont le fait de lui-même. Rien n’est moins faux. Tous nos comportements et nos attitudes sont presque toujours faussés par des influences perverses, ou « sournoises » pour reprendre l’expression de Jean-Léon Beauvois. « Répétez 10000 fois que le soleil se lève à midi » et vous aurez bientôt 80% du public qui acceptera cette idée fausse. Parce qu’il en coute plus de lutter contre la majorité que de faire allégeance au groupe. Effet moutonnier en psychologie sociale, les détracteurs des Laboratoires Servier sont victimes de cet effet. Comment accepter l’erreur de jugement ? Impossible. Comment revenir sur ses propos ? Impossible. Car si notre brave médecin de campagne revient sur ses erreurs, il reconnaîtra implicitement qu’il s’est trompé… Pourtant avec un tout petit d’effort, tout est là, sous la main, les faits, les images, les vidéos, les témoignages. Mais le prisme déformant, ce biais cognitif, empêche toute capacité de discernement. Les journalistes sont dans le même cas. Pensez-vous qu’un jour Anne Jouan du Figaro sortira un papier pour « démontrer que l’affaire était plus compliquée qu’il n’y paraissait et que, bon, tout compte fait, on s’est un peu trompé mais c’était pour la bonne cause ». Non, bien entendu. Bien peu de rédactions sont revenues sur les errements de jugement, les anathèmes et les condamnations dans l’affaire d’Outreau. Aujourd’hui, elles prennent le même chemin dans l’affaire du Mediator. Au lieu de présenter des faits, de les mettre en perspective, de peser le pour et le contre, des journalistes se substituent au juge et au policier, contrairement à tout l’esprit de notre charte d’éthique journalistique. La justice passera un jour ou l’autre dans cette affaire du Mediator. N’en doutons pas. Chacun l’espère. Chacun espère que toutes les responsabilités seront clairement identifiées, du ministre de la santé à notre médecin de campagne.

A force d’entendre Irène Frachon répéter le même discours alors qu’elle écrit par ailleurs que seuls trois cas cliniques ont été identifiés, à force de l’entendre dire qu’elle est en dehors de tout conflit d’intérêt alors qu’elle avoue avoir travailler pour GSK, -même chose pour le député Bapt-, et ce qui par ailleurs reproché à tous les scientifiques qui ont travaillé un jour ou l’autre pour Servier, tout le monde s’est convaincu que c’était vrai. Et ces idées reçues circulent à toute vitesse sur internet. Reprises, déformées, amplifiées, répétées à l’infini, elles deviennent vérité. Sans jamais être justifiées.

Les médias sociaux sont devenus le siège des rumeurs, de la flatterie gratuite, des idées superficielles, de la dérision, de l’émotion. Devant cette ivresse de nouveauté et d’expression, tout peut être dit. Ou presque. Pas certain que la vérité y gagne…

Sources :
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/vers-un-outreau-de-la-sante-et-du-109003?debut_forums=0#forum3208852
http://www.puf.com/wiki/Auteur:Jean-L%C3%A9on_Beauvois
http://www.ancienscfj.com/actualite/459-la-charte-d-ethique-professionnelle-des-journalistes-actualisee-recemment-par-le-snj.html
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21714428
http://www.youtube.com/watch?v=eNLOY8AbBiI&feature=youtu.be