mercredi 26 septembre 2012

Etes-vous prêt à déconnecter 2.0 ?


La France a réussi la réduction de la fracture numérique, même s’il reste encore des zones blanches dans quelques régions. Chaque français a vécu cette révolution numérique en adoptant des modes de vie et de consommation qui ont modifié considérablement le quotidien. Pourtant un sondage récent réalisé par Metrix Lab pour Havas Media fait apparaître une nouvelle tendance : la déconnexion.

La France des déconnectés ne se réduit pas uniquement à ceux qui n’ont toujours pas accès à internet. Il existe encore, autour de grandes villes comme Marseille, Clermont-Ferrand, Lyon ou Nice, de zones rurbaines dépourvues d’accès à internet. Oubliées des collectivités territoriales parce que trop éloignées, oubliées des FAI (fournisseurs d’accès à internet) parce que pas suffisamment nombreux, des villages ne sont pas connectés au réseau désormais basique de l’adsl.

Ces « non-connectés subis » comme le dit l’enquête d’Havas Media, ne représentent plus que 0.9% des lignes téléphoniques tandis que les zones grises (débit inférieur à 2Mbits) concernent 10.7% de la population. Ces derniers ne peuvent pas utiliser la vidéo à la demande par exemple.

Les seniors restent encore une population délaissée par les opérateurs. Alors que les plus de 70 ans représentent 8% de la population, 75% de ceux-ci n’ont pas d’accès à internet.

Déconnexion volontaire

Pour les paranos d’internet, il existe la déconnexion volontaire. Ainsi, aux Etats-Unis, des hôtels de luxe proposent des chambres sans connexion ni écran. Des écoles de la Silicon Valley garantissent des scolarités à 20000 dollars par an mais sans connexion ni outils électroniques. On est loin ici de la Corrèze avec la distribution gracieuse d’Ipad à tous les collégiens et aux promesses du Ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, de développer des scolarités 2.0…

Il y a également ceux qui ont le pouvoir de se déconnecter et ceux qui doivent répondre aux appels. Il y a comme une nouvelle fracture sociale entre ceux qui sont constamment reliés et ceux qui ont la capacité de se déconnecter. Chez Volkswagen, les serveurs Blackberry sont coupés après 19 heures. BMW diffuse un spot de prévention contre les risques d’hyperconnexion au volant, Cadbury motive les salariés à ne pas dépenser leur temps bêtement en surfant inutilement.

La déconnexion, ça s’apprend. A Strasbourg, l’initiative, « une semaine sans écran » commence à se reproduire dans une cinquantaine d’école en France.

Les quatre figures de la déconnexion
Selon l’étude Havas, il y aurait quatre types de déconnectés :

Les Minitélistes : ils sont 2,056 millions selon l'étude et représentent ainsi environ 4 % de la population âgée de plus de 15 ans. Il s'agit pour beaucoup de personnes retraitées ou vraiment peu en phase avec la technologie. Pour eux, le monde de la high-tech est difficile à appréhender, tout va trop vite et le sujet ne les intéresse pas. Internet, pour quoi faire ?

Les Exclus : ils sont 1,914 million (3,8 %) et ont de plus faibles revenus que la moyenne nationale. Ils sont logiquement sous-équipés en ordinateur et par conséquent peu connectés. Cela concerne aussi de nombreux habitants de zones rurales. Pour eux, choisir entre des dépenses alimentaires, culturelles et informatiques est une véritable question.

Les Flippés : ils sont 3,642 millions (7,1 %) et représentent de très loin la part la plus importante des déconnectés selon la catégorisation d'Havas. De part leur peur du réseau, que ce soit pour des raisons d'intrusion des marques dans leur vie privée ou vis-à-vis du manque de protection des données personnelles sur Internet, ces personnes surfent extrêmement peu et sont avant tout des surfeurs passifs. Ils ne publient ainsi strictement rien sur la toile (même leur avis), et évitent évidemment les réseaux sociaux. Leur méfiance envers les informations du Web est aussi très grande. Leurs revenus, contrairement aux exclus, sont par contre loin d'être très faibles et se situe plutôt dans la classe moyenne, avec plus 2700 € par mois de revenus nets par foyer.

Les Déconnectés 2.0 : ils sont 1,724 million (3,4 %) et sont de loin les plus intéressants. Eux, ils peuvent avoir accès à Internet, ils n'en ont pas spécialement peur et ils ne sont pas pauvres. Plutôt représentés par la classe financière aisée, ces Déconnectés 2.0 ne veulent pas se sentir dépendant de la toile. Ils surfent donc très peu et estiment qu'ils peuvent aisément se passer d'Internet. Globalement, ils souhaitent se couper de la technologie et n'hésitent donc pas à le faire. L'étude précise que ces personnes « assument leur anticonformisme ».

Havas Média note dans son étude que ces déconnectés utilisent internet principalement pour des raisons pratiques, notamment pour l'administratif (déclarer les impôts), consulter des plans, acheter en ligne, échanger du courrier, etc. Pour eux, le plus important est donc d'être libre au sens large. Libre de choisir, et bien sûr, libre de se connecter et surtout de se déconnecter quand ils le souhaitent. Cela explique pourquoi seul le côté pratique d'Internet est développé chez eux.

mercredi 19 septembre 2012

Lecture d'été : Mon tour du monde d'Eric Fottorino


Le Tour de la face cachée du Monde

Les lectures d’été ne sont pas une sinécure ! Etrange paradoxe que de s’attaquer aux plus lourds ouvrages de l’année, sur le fond comme sur la forme, au moment même où l’on aspire à la légèreté et à l’insouciance ! « Mon tour du Monde » d’Eric Fottorino, impose ses 540 pages comme un candidat sérieux pour plomber l’insoutenable légèreté estivale, mais surtout et avant tout, l’ambiance douce-amère du petit monde journalistique. A l’instar de la Morelle douce-amère, de la famille des Solanacées, ses fruits se révèlent relativement toxiques pour Le Monde et la pratique journalistique en général.
Eric Fottorino, qui fut le directeur dont l’histoire retiendra qu’il céda Le Monde au trio Matthieu Pigasse, fondé de pouvoir de la Banque Lazard, Xavier Niel, Businessman ayant fait fortune dans Internet, et Yves Bergé, ancien compagnon fortuné d'Yves Saint-Laurent, y décrit avec une plume alerte, ses 30 ans de carrière au Monde : 30 ans de passion, d’amour et de de désillusions.
Il y relate avec une plume qui ne manque ni d’élégance ni de caractère, mais aussi avec un peu de dépit et de révolte contenue, la lente mais inéluctable déchéance d’un journal de référence, livré aux appétits politiques et financiers.
Le témoignage est précis, documenté ; il ouvre les portes d’un Monde de manœuvres et d’intérêts bien loin des protestations d’indépendance de la presse vis-à-vis des pouvoirs politiques ou économiques.
Ce n’est certes pas la charge dévastatrice du livre de Pierre Péan et de Philippe Cohen, « La face cachée du Monde », publié en 2003 par Mille et Une Nuits, qui emportera le triumvirat Colombani-Plenel-Minc, mais il enfonce le clou, sans brutalité, en un geste chirurgical d’une efficacité d’autant plus redoutable.
C’est d’abord l’histoire d’une passion, du parcours d’un journaliste à l’ancienne, témoin de l’histoire, de l’aventure humaine et des grands bouleversements de la planète ; l’histoire d’un homme indépendant, dont « l’absence risible de sens politique » lui vaudra quelques déboires ; l’histoire aussi des errements d’un journal dont il prendra la direction dans la tourmente pour s’efforcer de le sauver à la fois du dépôt de bilan et de la dépendance aux puissances d’argent et de pouvoir … une demi-réussite, et un demi échec …
Cette dernière partie est de loin la plus intéressante, tant elle éclaire l’intrication des intérêts politiques économiques et médiatiques.
Certes Eric Fottorino a d’indéniables talents de portraitiste, et l’on ne boude pas son plaisir aux formules ciselées qui campent Plenel, Minc, Colombani et bien d’autres. Ainsi il ne se prive pas de coups de griffes assassins comme le fameux « On ne devient pas l'ami d'Alain Minc. On est au mieux l'obligé d'un marionnettiste. », qui restera dans les annales.
Mais ce livre vaut surtout par les questions qu’il ouvre ;  faute de les poser clairement, il les suggère et souligne l’urgence de rouvrir le débat de fond, non pas sur la liberté de la Presse, mais sur son objectivité et son indépendance.

Une presse contre le pouvoir … tout contre.

Après « Mon tour du Monde » de Fottorino, après « La face cachée du Monde » de Péan et Cohen, auxquels on pourrait ajouter l’ouvrage de Benjamin Dormann, « Ils ont acheté la Presse », celui de Vincent Nouzille « La République du copinage » ou encore celui de Sophie Coignard et Roman Gubert « L’oligarchie des incapables », On ne fera plus croire qu’aux Belles âmes que la Presse reste indépendante en dépit de son actionnariat.
Bien qu’elle s’en défende avec une véhémence bien maladroite à longueur d’éditoriaux, où la formule a depuis longtemps remplacé la démonstration, une grande partie de la Presse française est frappée de « Pathé Marconisme » : la voix de ses maîtres se fait entendre à bas bruit mais avec efficacité. Les lecteurs qui désertent inéluctablement  les kiosques, ne s’y trompent plus depuis longtemps mais il semble que le petit monde du journalisme rechigne à ouvrir les yeux sur le mal profond qui le ronge. Ce n’est que tests de nouvelles formules, de nouvelles maquettes, baromètres commandés aux Instituts d’études de marché, audits achetés à prix d’or et manœuvres byzantines aux directions générales … comme s’il s’agissait d’un problème marketing.

Eric Fottorino ne manque pas d’évoquer les dérives progressives de la pratique journalistique sous l’aiguillon des évolutions techniques, mais sous sa plume, elles n’apparaissent que comme un constat où le fatalisme le dispute à un timide mea culpa … et à une certaine prudence vis-à-vis de ses pairs.
«Sans doute n'avions-nous pas conscience que ces moyens très modernes ne favoriseraient guère les échanges entre nous. Que notre métier serait à jamais modifié par une technique qui nous servait tout en nous asservissant à ses règles et à ses codes. En douceur, sans bruit, sans éclats. Le chaud était devenu tiède, puis froid. Il apparut aussi que l'écriture s'uniformisa peu à peu, d'un service à l'autre, d'un journal à l'autre, comme si le contenant avait dicté sa forme au contenu.»
Ce ne sont pourtant pas les écritures qui s’uniformisent, mais la détestable pratique du copier/ coller des dépêches de l’AFP qui se généralise, à la virgule près.
Il donne également une définition du journaliste, juste mais partielle : c'est avant tout un carnet d'adresses, de contacts privilégiés qu'on peut solliciter à tout moment pour obtenir une information, un commentaire ou une confirmation ; certes, mais il ne dit rien des contreparties exigées pour que les sources ne se tarissent pas, qu’il s’agisse d’une injonction d’un cabinet ministériel ou de la suggestion appuyée d’un actionnaire : certains articles, dans la forme comme sur le fond frôlent parfois le billet de commande.

Quand le « journalisme d’inquisition » remplace le « journalisme d’investigation »

Cette dérive du journalisme, Eric Fottorino en livre une analyse édifiante, qui valide a posteriori les accusations de Péan et Cohen.
L’enquête minutieuse qu’Eric Fottorino conduira sur les réseaux de Charles Pasqua en Afrique et sur leur mobilisation éventuelle dans le financement de la campagne d’Edouard Balladur, connaîtra des péripéties dignes d’un bon polar. L’article sera laissé au « Frigo » plusieurs mois, pour finir par être édulcoré au terme d’une « relecture » par Edwy Plenel, et manifestement par Daniel Léandri, surnommé « le Berger », l’homme de confiance de Charles Pasqua ; l’épisode donne la mesure des relations privilégiées entretenues entre la rédaction d’un grand journal de référence comme Le Monde et le pouvoir. Comme le souligne Eric Fottorino, avec une lucidité teintée d’amertume, « Je n’avais pas mesuré combien, par mon enquête, j’avais dérangé un ordre des choses bien compris entre les enquêteurs spécialisés du Monde et le ministre de l’Intérieur …. L’investigation, oui, mais les investigateurs avaient leurs sources, qu’ils pouvaient être enclins à ménager ».
Cet épisode sera dénoncé plus tard par Péan et Cohen dans « La face cachée du Monde », pour ce qu’il était, une opération de censure qui ne veut pas dire son nom. Cela vaudra à Eric Fottorino d’être mis sur la touche un moment.
Au-delà de l’anecdote, cet épisode met en lumière les petits arrangements entre la Presse et le Pouvoir, malgré ses protestations d’indépendance. Ce n’est pas le moindre intérêt de ce Tour du Monde, que de mettre de la chair autour de ce cadavre dans le placard !
De la même manière, Eric Fottorino rend compte d’une autre dérive du Monde, sous l’ère d’Edwy Plenel, de Jean-Marie Colombani et d’Alain Minc, qui coûtera au Journal : la perte de confiance durable de son lectorat. Après avoir écarté les véritables gardiens du temple qu’étaient Patrick Jarreau, et Alain Frachon, le triumvirat a engagé Le Monde dans une croisade généralisée, s’arrogeant un rôle de censeur « distribuant les bons et les mauvais points » contre certaines cibles politiques « désignées » puis, contre les dirigeants du CAC 40, et Eric Fottorino d’énumérer les attaques répétées contre des cibles désignées (les « campagnes de presse hostiles frisant la chasse à l’homme » telles que les dénonçaient en leur temps Péan et Cohen) : Roland Dumas, Jacques Toubon, Alain Juppé, ou Dominique Baudis dans l’affaire Alègre, et bien d’autres, et qui se révèleront infondées ; la stigmatisation systématique des entrepreneurs et des patrons jusqu’à la caricature … Le Monde mis au service d’une idéologie, et à bien des égards, transformé en instrument d’intérêts politiques : on est bien loin de l’éthique et du rôle du journalisme.
En contrepoint, Eric Fottorino délivre sa conception d’un journalisme éthique, encore convaincu de la hauteur de sa mission, mais reconnaît ses limites dans un monde d’influence, de manœuvres florentines et de pression du scoop : « L’absence de réseaux, le mépris du clientélisme, l’imperméabilité au jeu politique, ce fut ma force, ce fut aussi ma faiblesse ».

Ce n’est pas le plus mince mérite de cet ouvrage que de mettre en pleine lumière et d’analyser avec un dépit légitime, ces dérives de la pratique journalistique.
L’agressivité, l’arrogance, le conformisme, l’art du copier-coller des dépêches, l’absence de vérification de l’information, insondable pauvreté de l’analyse, les commentaires « passés en contrebande » de l’information pour complaire au pouvoir ou hurler avec les loups … autant de pratiques désormais généralisées dans la presse, connues, condamnées mais pratiquées par tous. Les chroniques et les éditoriaux ont pris le pas sur le journalisme d’investigation.
Le traitement de la vie politique, des questions économiques comme celui des affaires relève souvent plus de l’exercice de style et de l’expression de convictions personnelles arbitraires, que d’un travail d’enquête fouillé et argumenté.
Dès lors qu’en est-il de l’analyse objective et contradictoire des faits ? Qu’en est-il du statut de l’information : on voit poindre derrière ce Tour du Monde, des mots tabous, jamais prononcés : autocensure, propagande idéologique, conflit d’intérêt, trafic d’influence, manipulation de l’information, via notamment des agences de communication comme Euro RSCG, Image 7, l'agence d'Anne Méaux ou encore celle de Michel Calzaroni. Voir à ce sujet l'excellent livre "Les gourous de la com" d'Aurore Gorius et Michael Moreau.
A cet égard, les questions de l’indépendance de la Presse et du métier de journaliste méritent d’être posées pour Le Monde comme pour Le Figaro, Le Nouvel Observateur, Libération et bien d’autres. Le rôle des agences de communication
« Mon tour du Monde » signe la fin d’une époque, la fin d’une utopie, celle de l’indépendance de la Presse. Peut-être le lecteur sera-t-il nostalgique d’une certaine conception du fonctionnement démocratique où une Presse indépendante joue un rôle capital ; ce temps semble révolu. Ce qui est sûr, c’est qu’il est condamné désormais à la plus extrême circonspection face aux informations qui lui sont délivrées, quel que soit le sujet et a fortiori, lorsqu’il recouvre des dimensions politiques, économiques ou médiatiques. Il lui appartient plus que jamais de cultiver sons sens critique et son indépendance dont il est désormais, en tant que citoyen l’ultime dépositaire.