lundi 2 janvier 2012

Conversation avec mon médecin où j’entends dire que le Mediator a fait moins de dégâts que le Doliprane et quelques autres vérités médicales


Parce qu’il faut bien surveiller son cholestérol, la visite semestrielle était en cette fin d’année incontournable. Après un tout d’horizon de la dernière prise de sang, le mauvais cholestérol, le LDL a trop augmenté. Il faut passer du Crestor 5mg au 20 mg. Le docteur F., mon médecin traitant, est un homme sage, posé. Jamais de médicaments en trop, il lutte contre les demandes d’arrêts maladie abusifs. Il soigne au bon sens, aime-t-il répété. Son bureau est quasiment vide. Aucune publicité, aucun objet promotionnel de tel ou tel laboratoire. Sur une petite étagère, quelques jeux pour les enfants indociles. Une très belle photo noir et blanc de la cote adriatique. Un médecin rassurant qui a déjà 23 ans de pratique derrière lui.
Nous terminons toujours les consultations par une conversation parce que le médecin, reste selon moi, un homme de sagesse, qui soigne les corps et les esprits.
-        Alors le scandale des prothèses mammaires PIP, vous en pensez quoi docteur ?
-        Bof, les chirurgiens font la pose et la dépose. Jackpot pour eux et trou de la sécu pour tout le monde.
-        Mais ils ne savaient pas qu’il y avait des risques ?
-        C’est toujours la question du bénéfice risque, explique-t-il. Tant que le nombre de cas n’est pas significatif (encore faut-il s’entendre sur ce qui est significatif ou non !) on continue. Y a davantage de bénéfices pour les patients, les médecins, la santé publique que de risques. Toute la médecine fonctionne comme cela aujourd’hui. C’est un peu cynique mais ça marche.
-        C’est pareil pour les médicaments ?
-        Absolument. Prenez le Mediator. On m’a dit qu’il ne fallait plus en prescrire. Bon. Je n’en prescris plus. Mais les personnes qui viennent me voir pour maigrir, me demandent de leur prescrire maintenant du Lamictal de GSK qui est un anti-épileptique. Si je refuse, c’est le scandale. Et il y a des scandales car, dans les effets secondaires, il faut bien lire le Vidal !, il est signifié qu’une perte de poids peut survenir, environ 10 kilos. Donc les femmes qui veulent maigrir réclament un médicament avec des effets  conséquents pour l’organisme et tous les médicaments ont des effets secondaires. Si je refuse, elles iront voir ailleurs. Même avec de la pédagogie, ça ne sert à rien et on perd son temps. Alors autant tenter de contrôler la situation. Une personne qui ne parvient pas à bien dormir, on lui donne de l’Aerius, qui est un anti-allergique. Les personnes viennent chez le médecin une fois qu’elles se sont renseignées sur les sites ou les blogs dédiés à la santé. A mon avis, la première bonne idée du Ministère de la santé ce serait de fermer les doctissimo et autres blogs de santé. Je crois que ça présente plus de risques que de bénéfices pour le coup. Et même si ce sont des médecins derrière, encore que !, rien ne vaut le tête-à-tête avec son médecin traitant.
-        Mais comment un médicament peut-il dériver de sa fonction première ?
-        Si on reste sur le Mediator, c’est l’expérience, les notices du Vidal, le partage de connaissances avec d’autres médecins, qui m’ont conduit à prescrire du Mediator comme coupe-faim, c’est-à-dire pour autre chose que ce pour quoi il était dédié. Destiné aux diabétiques, c’est devenu un coupe faim avec des résultats extrêmement modestes au demeurant. J’ai observé des pertes de poids de deux ou trois kilos maximum. Donc vraiment insignifiant. Y a d’autres méthodes pour maigrir…
-        Oui mais j’ai lu ici et là que les laboratoires font pression !
-        Je ne sais pas, je n’ai jamais reçu de visiteurs médicaux. Je n’en ai ni le temps, ni l’envie. Je préfère mon indépendance et beaucoup de médecins généralistes, surtout en province, ont cette attitude. C’est du pur bon sens. Pour les spécialistes, c’est autre chose. Ils sont dans des domaines souvent pointus et ont besoin de soutien. Là, je ne dis pas.
-        Mais alors, comme vous relativisez cette affaire, comment expliquez les 500 à 2000 morts consécutifs au Mediator ?
-        Ah voilà la bonne question ! Tout d’abord ces chiffres sont des probabilités. C’est simple à comprendre. Vous prenez le nombre de boites de Mediator vendues depuis sa mise sur le marché. Vous en déduisez le nombre de patients l’ayant consommé. Vous observez les effets significatifs de la prise du Mediator (et pas conjugué avec d’autres médicaments comme c’est le cas 9 fois sur 10) et vous faites une règle de trois. Le problème, c’est que ce mode de calcul est basique et intellectuellement insatisfaisant. Dans ce cas, si j’applique la même méthode à l’aspirine ou au Doliprane, on pourrait dire comme dans les médias : le Doliprane, depuis sa mise en vente sur le marché, aurait fait entre 5000 et 15000 morts. Et c‘est vrai en plus ! En effet, il y a des effets indésirables graves comme des hépatites fulminantes mortelles. Mais il faut toujours prendre en compte le volume de vente et de consommation. Donc on n’en sait rien ou si peu.
-        Les cardiologues n’ont rien dit sur le Mediator ?
-        Si, on les entend à posteriori. Mais c’est vrai que pendant trente ans, rien.
-        Donc ?
-        Donc il n’y avait rien… Sinon ils auraient fait remonter l’information sur les valvulopathies atypiques. J’ai rien lu dans le Quotidien du médecin ni Panorama du médecin.
-        Si ! j’ai lu que seule la revue Prescrire l’avait signifié assez tôt !
-        Je ne sais pas, je ne connais pas Prescrire. Ce doit être confidentiel et sans doute une publication téléguidée.
-        Et Irène Frachon ?
-        Bof ! On aime bien les Don Quichotte en France. Elle est sympathique, je l’ai rencontré une fois. Mais bon, quand vous lisez son livre, ça ne va pas très loin. Et puis elle a écrit l’année dernière qu’il n’y avait que trois cas cliniques observés. Allez savoir où est la vérité ! Je pense qu’il y a d’autres enjeux derrière mais ça on n’est pas très aidé quand on lit les journaux. On aime les Don Quichotte et les boucs émissaires et Servier est idéalement un bouc-émissaire. Laboratoire pas très connu, management à l’ancienne, travaille beaucoup à l’étranger, gagne beaucoup d’argent, certainement innovant, il suffit de voir les alliances qu’ils signent un peu partout dans le monde, des complicités avec les politiques mais de quel niveau, on n’en sait rien. Il a été décoré par Sarkozy, oui, et par Mitterrand aussi. 1 partout, balle au centre. Ca ne pourrait pas arriver à Sanofi une telle histoire, trop gros, trop important et sans doute d’autres relations plus puissantes… Et puis c’est trop difficile pour les autorités de revenir en arrière. Vous imaginez un ministre de la santé qui a signé le renouvellement de la mise sur le marché du Mediator, déclarer qu’il s’est trompé, quelques mois avant une élection ? Allons, allons, soyons réalistes ! Non moi je défends une industrie pharmaceutique publique, comme cela il n’y aura plus d’histoires.
-        Docteur, il y a des effets indésirables pour le Crestor ?
-        Oui, mais vous les auriez déjà eu. Si vous n’avez rien ressenti, c’est que vous le supportez. Rendez vous dans six mois avec une nouvelle prise de sang.
-        Meilleurs vœux pour 2012 ! 

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