Crise
économique, nouvelle gouvernance, budget 2013, scandales à répétition, les actions
de lobbying se multiplient. Autrefois discrètes, les manœuvres sont de plus en
plus voyantes et font débat.
Récession, poids des normes et
des règlements, un gouvernement qui cherche à combler des comptes publics
proches du zéro, des entreprises qui défendent leurs profits et leur image et
qui voient plus loin que la prochaine échéance électorale… L'heure est plus que
jamais à l’influence afin de préserver les intérêts particuliers ou
corporatistes. Tous les jours, la communication d’influence se développe tant dans
les médias que sur Internet. Elle concerne Sanofi, Arcelor Mittal, Nutella, Free,
McDonald's... Elle implique la confédération des brasseurs, les entreprises du
médicament, les groupes de pression proche des mouvements écologistes, les pro
et les anti OGM, les pro et anti gaz de schiste, les buralistes, les
médecins, les pharmaciens... Aucun secteur de l’activité économique n’y
échappe. Face à ces multiples défenses d’intérêt, des parlementaires cherchent
à se faire un nom en voulant acquérir une notoriété afin de peser sur
l’exécutif. Ce sont les nouveaux acteurs de la démocratie d’opinion, une forme
d’action politique qui écouterait au plus près les attentes des Français et qui
flirte avec la démagogie. Les blocages sociétaux, pourtant depuis longtemps
identifiés en France, sont tels que les chemins traditionnels de la prise de
décision politique sont de plus en plus souvent détournés.
Comment répondre ?
Faut-il utiliser les codes et les supports de la communication grand public et
prendre à partie l'opinion ? Si les avis divergent, ils sont unanimes à
condamner McDonald's et son attaque de la hausse de la TVA sur la restauration.
Surfant sur la mode du «fact-cheking», l'entreprise s'est offert le 30 octobre dernier
une pleine plage
de publicité au ton ironique pour interpeller le député socialiste Thomas Thévenoud,
présenté comme incompétent. Un faux pas très mal perçu des politiques qui n'a
pas tourné à l'avantage de l'entreprise. Plus récemment, Sephora s’offre une
grande page de publicité dans le Figaro
pour défendre son droit d’employer jusqu’à minuit des travailleurs dans son
magasin des Champs Élysées. La justice a donné raison à l’entreprise.
Selon Bruno Racouchot,
dirigeant de Comès, agence de
communication d’influence, il convient de respecter les parlementaires,
d'éviter de stigmatiser tel ou tel élu. Le
lobbying est, rappelons-le, une action visant à peser sur l’exécutif afin de
modifier les normes et les lois à l’avantage d’une entreprise ou d’une
organisation. Si, aux Etats-Unis ou au Canada, cette forme d’influence est
totalement comprise, acceptée,légitime et encadrée, en France, la situation est
bien plus paradoxale. Un consensus fondé sur l’histoire des relations
parlementaires existe pour condamner les actions de lobbying mais, en fait,
tous les élus s’en accommodent, de l’échelon communal au sommet de l’état. Dans
une dernière enquête sur la puissance des francs-maçons qui est une autre forme
de lobbying, Le Figaro soulignait l’influence réelle des frères au Palais Bourbon. D’ailleurs
il y a comme un passage obligé des différents ministres (toute tendance
confondues) venant exposés leurs projets ou leurs thèses et comme attendant
d’être adoubés. Hier c’était Xavier Bertrand, Aquilino Morelle, aujourd’hui,
Vincent Peillon... Le lobbying est un travail de longue haleine qui réclame de
la patience,effectué très en amont des décisions et fondé sur le dialogue,
l'information. Si une société prend en catastrophe une page de publicité, c'est
que ce travail n'a pas été fait au préalable et qu’il n’y a pas eu de
discussion en amont.
Autre exemple. Attaquée,
Nutella a également misé sur la publicité pour défendre ses produits. L'huile
de palme dont est composée cette pâte à tartiner culte a fait l'objet d'une
proposition visant à tripler le montant de sa taxe dans l'examen du budget 2013
de la Sécurité sociale. La marque du groupe Ferrero sait, depuis longtemps, que
le Nutella est jugée nocif pour la santé et l'environnement, notamment par les
associations de consommateurs. Elle ne s'attendait cependant ni à cette taxe,
rejetée depuis, ni à ce que la proposition prenne le nom très accrocheur
«d'amendement Nutella».Si Ferrero n’a répondu aux médias que très
partiellement, c’est parce que l’entreprise estime que c’est à tout le secteur de
l’alimentation de réagir en s’appuyant sur les témoignages de consommateurs,
les meilleurs défenseurs du produit. Pour autant Ferrero n’a pas retiré sa
campagne de publicité…
Les
politiques digèrent mal la pression ?
D'autres vont plus loin que la
page de publicité. L’Association des brasseurs de France a lancé une panoplie
d'actions pour empêcher le relèvement de la taxe sur la bière : mobilisations
des artistes et grands chefs de cuisine signataires d'une pétition, publiée dans
Le Monde sous forme
de tribune ; publication d'un sondage Ifop expliquant
que plus de 85% des Français jugent inefficace pour la santé publique la hausse
de la taxation sur la bière ; envoi aux journalistes et aux parlementaires
de packs de bouteilles étiquetées «la dernière gorgée de bière» ; appel au
soutien de l'Amicale des députés brassicoles… Peine perdue. Les députés ont
tranché, la bière sera taxée plus fortement.
Ce type de communication est cependant
contre-productif. Comment comprendre qu’une association dépense des sommes
considérables pour s’opposer à une taxe et démontre ainsi qu’elle est très riche ?
Le politique n'apprécie pas la
pression des médias et de l'opinion même si, par ailleurs, il aime fréquenter
les cercles de réflexions financé par des entreprises finançant largement
colloques et séminaires. Chacun se souvient par exemple des séminaires
organisés par Daniel Vial à Lourmarin regroupant le gratin de l’industrie
pharmaceutique, ministres de la santé en tête... Le politique n'aime pas faire
l'objet d'un lobbying trop puissant et trop voyant même si derrière les
fondations ointes de bonnes intentions, se dissimulent des think tank et
des lobbys puissants (voir la cartographie du Monde). Les risques d'une
opération de communication sont d'autant plus nombreux qu'elle se situe en
début de législature et de quinquennat. Idéalement une entreprise se doit de
construire une relation ancrée dans la durée avec les décideurs publics. Miser
sur le dialogue et la négociation apparaît plus pertinent que des campagnes grand
public cristallisant des oppositions.
Les parlementaires de gauche
seraient-ils, par ailleurs, particulièrement allergiques aux pressions
extérieures? Les mesures envisagées par le député PS Christophe Sirugue,
président de la délégation chargée des représentants d'intérêt et des groupes
d'étude à l'Assemblée, vont dans ce sens. Pour éviter la défense d'intérêts
purement particuliers, il envisage de retirer le badge d'accréditation
permanente aux lobbyistes des sociétés Monsanto, Bayer ou Syngenta. Raison
invoquée : elles sont parties prenantes d'un sujet sensible, les OGM, sur
lesquels les députés pourraient débattre prochainement… Nul doute qu’il faudra
bientôt retrié les accréditations de tous les groupes de pressions qui font
l’actualité au sens large : Medef, sidérurgie, industries du médicament
représentées par le LEEM, industries de la défense, Air Liquide, Air France… (liste ici)
L'affaire des Pigeons, elle
aussi, a laissé des traces. Le gouvernement a cédé sous la pression de
l'opinion publique avant même que le débat ne gagne l'Assemblée nationale. Un
court-circuit du temps parlementaire qui n'a pas ravi les députés. Les
politiques vont pourtant devoir s'habituer à cette forme nouvelle de
«liketivisme». Ce débat en ligne très puissant est un tournant historique et le
premier d'une longue série. Le
gouvernement a pris la dimension que, demain, le dialogue avec la société
civile ne se fera plus uniquement par la rue ou via des structures organisées.
De nouvelles communautés émergent sur
le Net et se mobilisent. Les syndicats et organisations professionnelles
devraient elles aussi en tenir compte, tout comme les agences qui doivent se
doter d'outils de veille performants.
Guérillas
digitales
Les professionnels qui n'ont
pas fini de décrypter ce cas d'école expliquent cependant qu'il n'aurait pu
être aussi puissant sans relais médiatique.Les médias sont aujourd'hui plus que jamais à l'écoute du Web et l’effet
Twitter est indéniable. Mais tant que la contestation reste cantonnée au
digital, elle n'est pas véritablement dangereuse. La chambre d'écho reste
encore aujourd'hui les médias traditionnels. Le plus difficile pour ces
guérillas digitales est de justement de trouver des relais dans les grands
médias ou auprès d’élus.
La mobilisation des Pigeons
consacre quoiqu'il en soit l'avènement de l'opinion, essentielle à toute action
de communication d'influence. La
mécanique de prise de décision publique se fonde aujourd'hui sur la perception
du grand public. Elle s'appuie sur les sondages d'opinion. Plus aucune action
de lobbying ne peut être menée sans en tenir compte. Mais ce type d’action
vient en complément d’action du lobbying classique dans les bureaux des
ministères et opérations de sensibilisation du grand public. Les deux démarches
s’inscrivent dans une stratégie globale d’influence.
D'autres vont plus loin que la
page de publicité. L'Association des brasseurs de France a lancé une panoplie
d'actions pour empêcher le relèvement de la taxe sur la bière : mobilisations
des artistes et grands chefs de cuisine signataires d'une pétition, publiée dans
Le Monde sous forme
de tribune ; publication d'un sondage Ifop expliquant
que plus de 85% des Français jugent inefficace pour la santé publique la hausse
de la taxation sur la bière ; envoi aux journalistes et aux parlementaires
de packs de bouteilles étiquetées «la dernière gorgée de bière» ; appel au
soutien de l'Amicale des députés brassicoles… Peine perdue. Les
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire