Prothèses PIP, Mediator, H1N1 : sous le prétexte du principe de précaution, les politiques se réfugient derrière un concept dévoyé. Xavier Bertrand, à l’occasion de son dernier poste de Ministre de la Santé, incarne à lui-seul une attitude réflexe : éviter les responsabilités.
Dans sa définition première, le principe de précaution est un
principe de gestion environnementale et non un principe de gestion de crise. Il
apparaît en Allemagne à la fin des années 1960. Ce principe va prospérer sur le
plan international en devenant une figure imposée de tous les traités
internationaux en matière d'environnement - le premier acte important étant le
Sommet de la Terre de Rio en 1992. En France, la première législation qui
inscrit le principe de précaution, la loi Barnier de 1995, ne suscite à
l'époque aucun débat. En revanche, l'inscription de ce principe dans la
Constitution, au niveau des valeurs fondatrices de la République, avec la
Charte de l'environnement de 2005, fait prendre une longueur d'avance à la
France.
C’est surtout à l’occasion des crises sanitaires que le principe
de précaution se fait connaître en France. Le principe a d'abord été entendu
comme principe de responsabilité de l'Etat, notamment à l'occasion de l'affaire
du sang contaminé. Ce principe a été réfléchi en fonction des responsabilités
qu'il pourrait engager. Il est devenu à la fois un épouvantail et un principe
de couverture. En faire trop semble protéger
d'une mise en cause éventuelle. De plus, le principe de précaution est
toujours lié à la défense d'un système de valeurs précis. Si on considère que
la santé n'est pas une valeur qui doit être hautement protégée, alors il n'y a
pas de précaution particulière à prendre en matière sanitaire. Les choix faits
par Roselyne Bachelot dans le cas du risque H1N1 supposent que la société veut
se protéger au maximum, que le décès d'une seule personne devrait pouvoir être
évité.
Le principe de précaution est en soi excessif : il commande
de donner le plus grand poids au plus petit risque. Il oblige à exagérer la
menace. Difficile de faire le reproche à Me Bachelot d'avoir engagé
une démarche de précaution, notamment au début de la crise : les informations
en provenance de l'Organisation mondiale de la santé étaient très alarmistes.
Vient ensuite, logiquement, la phase de la déception. Le temps passe. On
découvre que les choses ne sont pas comme on les avait imaginées. Il faut alors
s'adapter. C'est ce que tente de faire, sous des critiques qui ne sont pas
toujours honnêtes, Me Bachelot.
Dans une conjoncture de précaution, les politiques ne gèrent pas
seulement le risque objectif,
difficile à établir scientifiquement en raison du manque de connaissances, mais
aussi le risque subjectif, créé par
l'imaginaire collectif autour de la menace. La dimension de la communication,
la gestion des craintes absorbent la gestion du risque "réel".
Si on observe le cas de Xavier Bertrand en tant que Ministre de la
santé, il incarne à lui-seul, la crainte engendrée par le risque sanitaire.
Tant pour le Mediator que pour les prothèses PIP. Le principe n’est pas tant de
protéger la population que de se protéger soi-même et éventuellement dissimuler
une faillite du système de pharmacovigilance (Mediator) ou une faillite du
système de protection sociale (PIP).
En prenant des décisions à la hussarde, Xavier Bertrand symbolise l’ignorance
du politique et la panique face à une question de société. Commander un rapport
sur le Mediator à Aquilino Morelle qui le rédige en quelques semaines alors qu’il
faudrait au moins six mois en temps normal, imposer le retrait de toutes les prothèses
PIP alors que c’est une opération loin d’être anonyme, autant d’actions qui
traduisent la panique du politique et la redoutable méconnaissance. Le patron de
PIP, Jean-Claude Mas, s'en est pris à juste titre à Xavier Bertrand, le
ministre de la Santé. «Le ministre nous
met 500.000 patientes sur le dos avec ses déclarations intempestives alors
qu'il n'a pas la compétence. Pourtant il a des gens autour de lui pour le
conseiller», s'est emporté Jean-Claude Mas. Ce serait même le ministre de
la santé qui ferait courir un risque aux patientes en décidant le retrait de
leurs prothèses PIP. «Pourquoi aller
payer à des patientes des explantations alors que le risque chirurgical, lui,
est réel», interroge ainsi Jean-Claude Mas.
Xavier Bertrand, dans la précipitation, recommande donc "à titre préventif et sans caractère
d’urgence", que le retrait des prothèses mammaires PIP soit proposé
aux femmes les portant, même s'il n'a pas été démontré à ce jour un risque
accru de cancer… Quelque 30.000 femmes en France se sont fait implanter des
prothèses mammaires de marque PIP, dont certaines sont remplies d'un gel de
silicone non médical, qui entraînerait des risques accrus de fuite et de
rupture de l'enveloppe de la prothèse. Les frais liés à cette explantation,
incluant l’hospitalisation, seront pris en charge par l’assurance maladie.
S’agissant de femmes relevant d’une chirurgie reconstructrice (après cancer du
sein), la pose d’une nouvelle prothèse est également remboursée. Lorsqu'il
s'agit d'une opération à visée esthétique - la grande majorité des cas - la
pose de nouvelles prothèses est à la charge de la patiente. Le coût maximal
pour la sécurité sociale des opérations de retrait des prothèses mammaires PIP
est estimé à une soixantaine de millions d'euros, indiquait le 23 décembre 2011
François Godineau, chef de service de la Direction de la sécurité sociale.
Outre le cout des explantations, on peut se demander si les
politiques, Xavier Bertrand en premier, n’agissent pas les yeux et les oreilles
fermés. Il faut relire l’avis de L'avis de l’Institut national du cancer "il n'y a pas à ce jour de risque accru de
cancer chez les femmes porteuses de prothèses de marque PIP en comparaison aux
autres prothèses". Un total de 8 cas de cancers a été signalé chez des
femmes ayant eu des prothèses PIP, sans toutefois qu'aucun lien de causalité
n'ait été établi. "Devant l'absence
d'éléments nouveaux concernant le gel non conforme ou de données cliniques
nouvelles sur des complications spécifiques, les experts considèrent ne pas
disposer de preuves suffisantes pour proposer le retrait systématique de ces
implants à titre préventif", a estimé l'expertise collective
coordonnée par l'INCa.
Et comme une nouvelle preuve dénonçant la panique, voire l’incurie
du politique, le service de santé publique britannique diffuse une étude
dans laquelle il est démontré qu’environ 15 à 30 % des prothèses PIP risquent de
se déchirer après dix ans d'utilisation, alors que ceux des autres marques
présentent un taux de rupture de 10 % à 14 % sur la même période. Mais leurs
composants ne sont ni toxiques ni cancérigènes, assurent ces experts. "Les
multiples tests réalisés (...) ont montré que ces implants ne sont pas toxiques
et ne présentent pas de risques à long terme pour la santé des femmes",
explique le Pr Bruce Keogh, qui a dirigé cette étude. Ces implants sont
toutefois "d'une
qualité inférieure à celle des autres implants" et sont "plus
susceptibles de se rompre".
Si le ministre de la santé avait consulté des experts ou des chirurgiens, il aurait pu entendre ou lire ceci : « J'ai encore dans ma patientèle des porteuses heureuses de prothèses PIP préremplies de sérum et encore satisfaisantes après 14 ans; ces patientes sont inquiètes, injustement, car elles ne risquent rien ! Mais l'amalgame médiatique est imparablement terrorisant ! Notre syndicat a porté plainte ; certains de mes collègues aussi directement. Pour ma part, je considère que l'important est d'accompagner mes patientes -surveiller celles dont les prothèses PIP vont encore très bien- proposer un échange au coût le plus ajusté en tenant compte de leur situation financière personnelle, mais en leur demandant de contribuer à la somme nécessaire pour acheter de nouvelles prothèses et assurer les frais d'aide opératoire et d'anesthésie négociés et minorés par nous ? » (http://www.vladimir-mitz.com/component/content/article/141-chirurgie-esthetique-protheses-mammaires-pip-danger.html).
Avec le principe de précaution, le politique devrait s’interroger sur cette ascèse chère aux philosophes du XVIIIe selon laquelle un jugement juste devrait être dépassionné. Le principe de précaution, loin de renforcer l'autorité de l’État, l'affaiblit et finalement prive la décision publique de sa légitimité. Enfin, en raison de l'exagération des émotions qui le constitue, il tend à placer la société dans une situation de crise et d'urgence permanente…
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