Parce qu’il faut bien surveiller son cholestérol, la visite
semestrielle était en cette fin d’année incontournable. Après un tout d’horizon
de la dernière prise de sang, le mauvais cholestérol, le LDL a trop augmenté.
Il faut passer du Crestor 5mg au 20 mg. Le docteur F., mon médecin traitant,
est un homme sage, posé. Jamais de médicaments en trop, il lutte contre les
demandes d’arrêts maladie abusifs. Il soigne au bon sens, aime-t-il répété. Son
bureau est quasiment vide. Aucune publicité, aucun objet promotionnel de tel ou
tel laboratoire. Sur une petite étagère, quelques jeux pour les enfants
indociles. Une très belle photo noir et blanc de la cote adriatique. Un médecin
rassurant qui a déjà 23 ans de pratique derrière lui.
Nous terminons toujours les consultations par une
conversation parce que le médecin, reste selon moi, un homme de sagesse, qui soigne
les corps et les esprits.
-
Alors le scandale des prothèses mammaires PIP,
vous en pensez quoi docteur ?
-
Bof, les chirurgiens font la pose et la dépose.
Jackpot pour eux et trou de la sécu pour tout le monde.
-
Mais ils ne savaient pas qu’il y avait des
risques ?
-
C’est toujours la question du bénéfice risque,
explique-t-il. Tant que le nombre de cas n’est pas significatif (encore faut-il
s’entendre sur ce qui est significatif ou non !) on continue. Y a davantage
de bénéfices pour les patients, les médecins, la santé publique que de risques.
Toute la médecine fonctionne comme cela aujourd’hui. C’est un peu cynique mais ça
marche.
-
C’est pareil pour les médicaments ?
-
Absolument. Prenez le Mediator. On m’a dit qu’il
ne fallait plus en prescrire. Bon. Je n’en prescris plus. Mais les personnes
qui viennent me voir pour maigrir, me demandent de leur prescrire maintenant du
Lamictal de GSK qui est un anti-épileptique. Si je refuse, c’est le scandale.
Et il y a des scandales car, dans les effets secondaires, il faut bien lire le
Vidal !, il est signifié qu’une perte de poids peut survenir, environ 10
kilos. Donc les femmes qui veulent maigrir réclament un médicament avec des effets
conséquents pour l’organisme et tous les
médicaments ont des effets secondaires. Si je refuse, elles iront voir
ailleurs. Même avec de la pédagogie, ça ne sert à rien et on perd son temps.
Alors autant tenter de contrôler la situation. Une personne qui ne parvient pas
à bien dormir, on lui donne de l’Aerius, qui est un anti-allergique. Les
personnes viennent chez le médecin une fois qu’elles se sont renseignées sur
les sites ou les blogs dédiés à la santé. A mon avis, la première bonne idée du
Ministère de la santé ce serait de fermer les doctissimo et autres blogs de
santé. Je crois que ça présente plus de risques que de bénéfices pour le coup.
Et même si ce sont des médecins derrière, encore que !, rien ne vaut le
tête-à-tête avec son médecin traitant.
-
Mais comment un médicament peut-il dériver de sa
fonction première ?
-
Si on reste sur le Mediator, c’est l’expérience,
les notices du Vidal, le partage de connaissances avec d’autres médecins, qui
m’ont conduit à prescrire du Mediator comme coupe-faim, c’est-à-dire pour autre
chose que ce pour quoi il était dédié. Destiné aux diabétiques, c’est devenu un
coupe faim avec des résultats extrêmement modestes au demeurant. J’ai observé
des pertes de poids de deux ou trois kilos maximum. Donc vraiment insignifiant.
Y a d’autres méthodes pour maigrir…
-
Oui mais j’ai lu ici et là que les laboratoires font
pression !
-
Je ne sais pas, je n’ai jamais reçu de visiteurs
médicaux. Je n’en ai ni le temps, ni l’envie. Je préfère mon indépendance et
beaucoup de médecins généralistes, surtout en province, ont cette attitude. C’est
du pur bon sens. Pour les spécialistes, c’est autre chose. Ils sont dans des
domaines souvent pointus et ont besoin de soutien. Là, je ne dis pas.
-
Mais alors, comme vous relativisez cette
affaire, comment expliquez les 500 à 2000 morts consécutifs au Mediator ?
-
Ah voilà la bonne question ! Tout d’abord
ces chiffres sont des probabilités. C’est simple à comprendre. Vous prenez le
nombre de boites de Mediator vendues depuis sa mise sur le marché. Vous en
déduisez le nombre de patients l’ayant consommé. Vous observez les effets
significatifs de la prise du Mediator (et pas conjugué avec d’autres
médicaments comme c’est le cas 9 fois sur 10) et vous faites une règle de
trois. Le problème, c’est que ce mode de calcul est basique et intellectuellement
insatisfaisant. Dans ce cas, si j’applique la même méthode à l’aspirine ou au Doliprane,
on pourrait dire comme dans les médias : le Doliprane, depuis sa mise en
vente sur le marché, aurait fait entre 5000 et 15000 morts. Et c‘est vrai en
plus ! En effet, il y a des effets indésirables graves comme des hépatites
fulminantes mortelles. Mais il faut toujours prendre en compte le volume de
vente et de consommation. Donc on n’en sait rien ou si peu.
-
Les cardiologues n’ont rien dit sur le
Mediator ?
-
Si, on les entend à posteriori. Mais c’est vrai
que pendant trente ans, rien.
-
Donc ?
-
Donc il n’y avait rien… Sinon ils auraient fait
remonter l’information sur les valvulopathies atypiques. J’ai rien lu dans le
Quotidien du médecin ni Panorama du médecin.
-
Si ! j’ai lu que seule la revue Prescrire
l’avait signifié assez tôt !
-
Je ne sais pas, je ne connais pas Prescrire. Ce
doit être confidentiel et sans doute une publication téléguidée.
-
Et Irène Frachon ?
-
Bof ! On aime bien les Don Quichotte en
France. Elle est sympathique, je l’ai rencontré une fois. Mais bon, quand vous
lisez son livre, ça ne va pas très loin. Et puis elle a écrit l’année dernière
qu’il n’y avait que trois cas cliniques observés. Allez savoir où est la vérité !
Je pense qu’il y a d’autres enjeux derrière mais ça on n’est pas très aidé
quand on lit les journaux. On aime les Don Quichotte et les boucs émissaires et
Servier est idéalement un bouc-émissaire. Laboratoire pas très connu,
management à l’ancienne, travaille beaucoup à l’étranger, gagne beaucoup d’argent,
certainement innovant, il suffit de voir les alliances qu’ils signent un peu
partout dans le monde, des complicités avec les politiques mais de quel niveau,
on n’en sait rien. Il a été décoré par Sarkozy, oui, et par Mitterrand aussi. 1
partout, balle au centre. Ca ne pourrait pas arriver à Sanofi une telle
histoire, trop gros, trop important et sans doute d’autres relations plus
puissantes… Et puis c’est trop difficile pour les autorités de revenir en
arrière. Vous imaginez un ministre de la santé qui a signé le renouvellement de
la mise sur le marché du Mediator, déclarer qu’il s’est trompé, quelques mois
avant une élection ? Allons, allons, soyons réalistes ! Non moi je
défends une industrie pharmaceutique publique, comme cela il n’y aura plus d’histoires.
-
Docteur, il y a des effets indésirables pour le
Crestor ?
-
Oui, mais vous les auriez déjà eu. Si vous
n’avez rien ressenti, c’est que vous le supportez. Rendez vous dans six mois
avec une nouvelle prise de sang.
-
Meilleurs vœux pour 2012 !
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