A l'occasion du procès Servier, regard sur l'étrange revirement d'attitude du Figaro depuis la disparition d'une chroniqueuse en guerre contre les laboratoires.
Depuis
la disparition d’Anne Jouan de la rédaction du Figaro (certains la croient en
congé maternité, d’autres estiment qu’elle est placardisée), Stéphane
Durand-Souffland a repris la couverture du procès Servier et de l’affaire du
Mediator. Pour le plus grand bien de l’objectivité journalistique et pour les
lecteurs du Figaro. Il est vrai qu’Anne Jouan avait un peu oublié le précepte :
« les journalistes doivent écrire
pour leurs lecteurs ». Ses papiers à charge contre les laboratoires Servier
étaient apparus subitement en juin 2010 alors que la ligne rédactionnelle du
Figaro se contentait jusque là de relater des faits. Nous l’avions déjà évoqué
dans ce blog en annonçant un Outreau
du médicament. Chacun pourra s’interroger sur cette prise de position et
cette forme assez détestable de mercenariat : il est vrai que la lucidité
journalistique avait quitté les rédactions. Il fallait hurler avec les loups
pour ne pas montrer une trop grande « collusion » avec les puissances
de l’argent, critique récurrente contre le quotidien du boulevard Haussmann.
L’inflation
du nombre présumé de victimes du Mediator doit beaucoup au Figaro : de 300
à 2000, ce qui fait une marge d’erreur conséquente. A ce propos, il convient de
revoir la vidéo disponible sur YouTube, où Xavier
Bertrand s’étonne à son tour du nombre de victimes présumées, diffusé par
le Figaro. Mais évidemment cette information ne fut reprise par aucun média… Le
Figaro entamait donc un réquisitoire sans pitié contre les laboratoires
Servier, jusqu’à trahir le secret de l’instruction en diffusant des pièces du
dossier, en exhumant d’anciens salariés de Servier qui trouvaient, dans l’opportunité
de parler à une journaliste, l’occasion de déverser bile et rancœur et d’asséner
de fausses informations. Mais peu importe la déontologie journalistique puisque
il fallait faire du buzz autour de l’affaire sans que personne ne sache très
bien pourquoi. Libération entamait la
même démarche, suivie de près par Mediapart,
toujours en diffusant des probabilités et des inexactitudes scientifiques. Mais
peu importe une nouvelle fois, le sujet est croustillant, il fait de l’audience,
des parts de marchés, les annonceurs sont là. Et puis chacun sait qu’en France,
personne n’aime ceux qui réussissent ou gagne de l’argent, même si des progrès
en matière de recherche sont accomplis. Modérons nos propos : personne n’attaque
Sanofi qui possède d’autres casseroles, parce que Sanofi c’est gros, très gros.
Trop gros.
Donc Anne Jouan disparaît et un
nouveau journaliste doit rendre compte du procès qui s’ouvre à Nanterre. Très
curieusement, le papier que nous reproduisons ci-dessous fut mis en ligne sur
le site du Figaro. fr le 21 mai 2012 puis mis à jour à 18h03. Puis il a disparu
de l’édition gratuite et n’est accessible désormais qu’en version payante (il
faut bien vivre !).
Le titre dénote de l’angle d’attaque
traditionnel. Le reste est pertinent, argumenté, fidèle au jugement.
Procès Servier : une claque
pour les parties civiles
Par Stéphane
Durand-Souffland Mis à jour le 21/05/2012 à 18:03 | publié le
21/05/2012 à 17:36
Le
tribunal correctionnel de Nanterre a ordonné lundi le renvoi du procès pour
«tromperie aggravée», après avoir accepté de transmettre à la Cour de cassation
une question prioritaire de constitutionnalité.
Lorsqu'une décision de justice est rendue, la forme importe parfois autant
que le fond. Le tribunal correctionnel de Nanterre a décidé, lundi, d'ajourner le procès Servier, en
transmettant à la Cour de cassation l'une des deux questions prioritaires de
constitutionnalité soulevées, le 14 mai, par la défense de Jacques Servier et
des laboratoires qui fabriquaient le Mediator. Me Hervé Temime et ses confrères
soutenaient que les prévenus ne pouvaient pas comparaître à Nanterre sur
citations directes, tandis que deux juges instruisent, à Paris, le même
dossier, cherchant à mettre au jour toutes les facettes d'un présumé scandale
de santé publique - le Mediator aurait entraîné la mort de 500 à 2000 consommateurs entre 1976 et 2009.
Voilà pour le fond.
Pour la forme, la présidente de la 15e
chambre correctionnelle de Nanterre a lu un bref texte, avant de renvoyer
l'audience au 14 décembre. Sur un ton froid, elle a administré une véritable
volée de bois vert aux parties civiles, ou plus exactement à leurs avocats,
auteurs des citations directes. «Il n'appartient à aucune partie d'imposer son
calendrier en bafouant la procédure pénale», commence la présidente. Dès cet
instant, Mes François Honnorat, Charles Joseph-Oudin et Martine Verdier
comprennent qu'ils vont en prendre pour leur grade. Mme Prévost-Desprez
poursuit, reprenant presque mot à mot des arguments de la défense: «Il ne
saurait être imposé à aucun juge un dossier tronqué au motif que la justice
doit passer vite. Il n'appartient pas aux parties de dicter leur décision aux
juges en instrumentalisant l'opinion publique.»
Droits de la défense menacés
Preuve que cette leçon de droit en forme
de diatribe s'adresse aux avocats, et non aux centaines de personnes qui se
présentent en victimes du Mediator, le tribunal reprend maintenant à son compte
un argument longuement développé par Me Georges Holleaux, conseil de la Caisse
nationale d'assurance-maladie, partie civile mais partisan d'un renvoi: «Quel
que soit le nombre des parties civiles, le jugement du tribunal aura des
conséquences évidentes pour l'ensemble des personnes se disant victimes.» En
clair: une relaxe définitive à Nanterre priverait de procès les parties civiles
constituées dans le cadre de l'instruction parisienne, Jacques Servier et ses
laboratoires ne pouvant pas être poursuivis deux fois pour le même délit, en
l'occurrence celui de «tromperie aggravée». En outre, les droits de la défense
sont menacés à Nanterre, puisque des pièces pouvant lui être utile sont
couvertes par le secret de l'instruction dans le volet parisien. Le tribunal,
dans ces conditions, «ne serait pas en mesure de garantir un procès équitable».
Le tribunal de Nanterre fait du droit,
donc, mais il préserve aussi les intérêts des victimes potentielles. Mes
Honnorat, Joseph-Oudin et Verdier ont, par ailleurs, certainement noté que la
juridiction n'avait pas répondu aux autres «exceptions de nullité» plaidées par
la défense. Si la QPC ne passait pas le filtre de la Cour de cassation dans les
trois mois, ou si le Conseil constitutionnel en était saisi mais ne la
déclarait pas fondée dans les trois mois suivants (d'où le renvoi au 14 décembre),
les débats pourraient éventuellement reprendre à Nanterre, fin 2012 ou début
2013. Ils seraient alors l'occasion d'une nouvelle joute procédurale, puisque
la défense pourrait de nouveau plaider ses nullités et tenter de torpiller
cette deuxième voie de poursuite. D'ici là, ses adversaires ont le temps de
réviser soigneusement leur Code de procédure pénale.
Pour la première fois depuis juin 2010, Le
Figaro tape sur les avocats de la partie civile. Rien sur la personnalité de
Jacques Servier, si honni par Jouan. Retournement de veste ? Après le
second tour des présidentielles ? Après le départ d’Anne Jouan ? Après
les secousses dans la rédaction du quotidien de février mettant en cause son
directeur, Etienne Mougeotte ? Cela fait beaucoup d’interrogations sur un
changement d’attitude assez spectaculaire. Mais l’article est retiré de l’accès
libre. Faut pas exagérer quand même…
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